LE CHATEAU DE PARIS-JARDINS

DRAVEIL ET SON HISTOIRE

de René Fontaine préfacé de Jean TOURNIER6LASERVE Conseiller Généra, Maire de DRAVEIL

-1981-

Le Château de Draveil

A tout seigneur, tout honneur, dit-on. Pour ouvrir le chapitre des belles demeures, c'est tout naturellement au château de Paris­Jardins, somptueux logis des derniers seigneurs de Draveil, qu'il convient d'en réserver l'honneur. Sa majestueuse façade dominant l'élégante cour d'honneur, ne peut manquer de s'imposer au regard, dès l'abord du Centre-Ville.

L'appellation de Paris-Jardins est devenue familière et nul ne songe à la discuter. Elle ne remonte pourtant qu'aux premières années du XXème siècle. C'est en effet le 30 août 1911 que la «Société ano­nyme coopérative à capital variable d 'habitations à bon marché dite Paris-J ardins première Ville-Jardin française», fondée en avril 1909, acquit pour la somme de 350.000 francs ce qui fut le Château de Draveil.

Château de Draveil ... , résidence de seigneur et maître,. On peut dire qu'il a présidé effectivement aux destinées de la commune, tant ses ramifications s'étendaient aussi bien dans les centres vitaux que dans les écarts.

La seigneurie locale appartint longtemps aux Religieuses Domini­caines de l'Abbaye Royale de Saint-Louis de Poissy à qui elle fut donnée en 1305 par le propriétaire en titre, le roi Philipe IV le Bel lui-même, pour le repos de son âme et de celle de sa femme, Jeanne de Navarre. C'était plus exactement une co-seigneurie, puisqu'une autre partie de Draveil, Champrosay et Mainville relevaient de l'Abbaye de Sainte-Geneviève et de l'Hôtel-Dieu de Paris.

 

Dans la seconde moitié du XVIlème siècle, s'élevait à l'emplace­ment du futur château, une maison de campagne qui appartenait à Messire François de Bourgon, chevalier, Conseiller du Roi. Le nom de Bourgon subsiste dans les registres paroissiaux. Le 18 août 1662, une fille du chevalier, Angélique-Anne, fut inhumée dans l'église de Draveil. Une autre fille, Marie de Bourgon, fut plusieurs fois marraine.

La propriété passa par· contrat d'échange à François Piques, puis fut adjugée par la suite à son fils Pierre pour échouer finalement par un nouveau contrat d'échange, entre les mains de Messire François le Maître, chevalier, seigneur de Persac. Admirablement située face aux coteaux plantés de bois et de vignes de Juvisy et d'Athis, jouissant d'une vue magnifique sur la vallée de la Seine, la maison suscita la convoitise d'un riche Fermier Général, Marin de la Haye, qui s'en rendit acquéreur le 13 août 1720 pour la somme de 120.000 livres. Il achetait également en 1725, la ferme de Bréban pour 20.000 livres à Bénigne Legendre, lequel l'avait acquise un an plus tôt des héritiers de Pierre Piques. L'emplacement était jugé bon pour y implanter le potager, l'orangerie et divers com­muns. Dans la vente de la ferme était compris un banc dans l'église de Draveil, face à la chaire.

Patiemment, Marin continua de développer son domaine en ache­tant les fermes, terres, fiefs et arrière-fiefs du voisinage et, finale­ment, il se rendait acquéreur le 14 avril 1750, de la seigneurie même de Draveil que possédaient encore les Dames de Poissy.

Faisaient notamment partie de ses biens: le fief de Villiers, le fief de Marcenoux, le fief de Mousseaux, le Gué de la Folie, le fief de Beaumont dont la propriété Chalon devenue bien paroissial consti­tue l'ultim-e survivance, les fiefs de Genippa et de Tessonville (pro­priété Chapuis destinée à l'Hôtel de Ville). Domaine immense, s'étendant jusque dans Vigneux et à une partie de la forêt de Sénart.

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Un réseau de passages souterrains devait probablement relier entre eux les différents fiefs. De temps en temps, au hasard des travaux de terrassement, les ouvriers découvrent des vestiges effondrés. Une amorce de souterrain se dirigeant vers Mousseaux est encore visible dans les caves du château.

Edification du château et des communs

Marin de la Haye fit édifier sur l'emplacement de la maison de Fran­çois le Maitre, le château que nous connaissons. Il l'entoura d'un parc. Un beau tapis de gazon orna la cour d'honneur, laquelle fut fermée d'une grille dont chaque extrémité reçut un pavillon à usage de logement pour des domestiques et le portier. Ces deux pavillons subsistent encore; celui du portier est occupé depuis la frn janvier 1980 par les bureaux de la Caisse de Crédit Mutuel de Draveil.

Entre la cour d 'honneur et la ruelle de Châtillon, mieux connue aujourd'hui sous le nom de boulevard du Général de Gaulle, furent édifiés les communs du château ouvrant sur un potager, à l'empla­cement de l'ancienne ferme de Bréban que notre nouveau seigneur avait fait démolir auparavant. Il y a quelques années seulement, se devinait encore, derrière l'orangerie, le tracé d'une voie cHarretière intérieure. Une petite porte s'ouvrait à l'angle des boulevards Henri Barbusse et du Général de Gaulle.

L'orangerie, longue bâtisse rectangulaire percée de quatorze hautes fenêtres, abrita la collection d'orangers du château. On fut toujours très amateur d'orangers au château de Draveil. Encore au début de notre XXème siècle, la Famille Laveissière s'enorgueillissait d'une collection qui comptait de magnifiques sujets; sa réputation dépas­sait largement les limites de la commune.

L'orangerie dépend toujours du domaine de Paris-Jardins. L'époque moderne en a fait un cinéma, doté de trois salles, bien connu des Draveillois qui, volontiers, viennent y passer quelques instants de détente. Le septième art a supplanté la pudique fleur d'oranger.

Quant au château lui-même, il a conservé belle allure. Avec ses lignes sobres, ses deux ailes dont une abritait la chapelle, son double escalier de pierre, on l'imagine très bien dans son neuf',' et cela d'autant mieux qu'il est bien entretenu.

Combien il devait être agréable, posté sur le grand perron, d'admirer· durant la belle saison le parc, les bosquets, les massifs de fleurs et la reposante prairie de la splendide perspective! Quel bien-être devait­on éprouver aux longs jours d'été, de longer sous les frais ombrages, le petit ruisseau descendant en pente douce, agrémenté de casca­telles, tombant dans la grande pièce d'eau argentée ! Cette pièce d'eau qu'on appelait «la Tonne», fut creusée à l'emplacement d'un manoir qui composait, avec quelques terres adjacentes, le fief de Marcenoux.

Marin de la Haye, très fier de son beau domaine tout neuf, prenait plaisir à en faire l'honneur à ses amis. Il y eut là sans aucun doute, de brillantes réceptions mondaines au cours desquelles les relations du Fermier Général, seigneur de Draveil, déployaient un panache qui émerveillait les vignerons du vieux bourg briard. Personnages de la cour, châtelains des villages voisins, toute cette haute société riva­lisait de luxe et d'élégance. Le roi Louis XV fit vraisemblablement quelque halte rapide un jour ou l'autre au château, à l'occasion d'une chasse en forêt de Sénart. Y séjourna-t-il ? C'est peu probable; le Bien-Aimé n'aimait guère s'attarder dans les demeures de ses sujets. Il préférait édifier ça et là des «Folies» où il pouvait, loin de la foule courtisane, donner libre cours à ses insatiables caprices.

En revanche, il est permis de penser que Madame de Pompadour vint fréquemment, de son domaine d'Etiolles, rendre visite à son opulent voisin. Tout Draveil admirant le fringant équipage, restait bouche bée au passage de la voluptueuse marquise qui régnait sur le cœur du roi. Les livrées des laquais, les dorures des carrosses, les perruques poudrées, tout cela allait et venait dans la cour d'honneur et les allées du parc, évoluant au son de musiques douces émergeant des bosquets fleurant bon le chèvrefeuille. Les cris des jeunes filles se mirant dans «la Tonne», effarouchaient les palombes nichées dans les arbres alentour.

Qu’êtes-vous devenues,images fugitives dont le miroir glauque et sans voix, ne sait même pas nous restituer le souvenir ?

Entourée de magnifiques platanes, «la Tonne» survit dans les pièces d'eau dénommées «les Platanes» et «le Miroir» sur le plan de Paris­ Jardins. Les sociétaires qui aiment la pêche, peuvent tout à loisir céder à leur passion favorite dans un site délicieux, digne de leur inaltérable patience mise parfois à l'épreuve par les gamins attirés, eux aussi, par les charmes de l'eau.

Sur la droite du château, l'allée de la Petite Ferme rappelle l'exis­tence, derrière le pavillon des domestiques, d'un joujou pour grande dame. Ce devait être de mode à cette époque; la reine Marie-Antoi­nette, elle-même, ne prenait-elle pas plaisir à jouer à la fermière au Hameau de Trianon?

De la chapelle qui occupait l'aile gauche du château, il n: reste rien d'autre que la mention dans les registres paroissiaux, d'un mariage qui y fut célébré le 26 juin 1753 entre Messire Estienne Robert Leschassier, chevalier, Conseiller du Roy en sa Cour des Aydes, et Demoiselle Marie-Henriette Thoré. Du consentement de Messire Ignace de Moriez, curé de Draveil, le mariage fut béni par un parent de la mariée, Nicolas-Philippe Thoré, vicaire de l'église d 'Ablon. Auparavant, Monseigneur l'Archevêque de Paris avait autorisé la célébration du mariage dans la Chapelle du château de Monsieur de la Haye. Au bas de l'acte, se lisent très bien les signatures des inté­ressés et notamment celles de Marin de la Haye et de Marie-Edmée de Saint-Mars son épouse.

L'avenue Marcelin Berthelot

Afin de relier dignement le château seigneurial à son annexe du Gué de la Folie, Marin de la Haye fit planter les quatre rangées de tilleuls tout au long des 700 mètres qui forment ce que nous appelons l ' Avenue Marcelin Berthelot.

Tracée sur d'anciens vignobles et terres de culture, elle est un des joyaux de Draveil avec les avenues similaires de Mousseaux et de Villiers issues de la même veine. La Société de Paris-J ardins en ache­tant le château, devenait propriétaire de l'avenue. Elle la revendit le 30 mai 1920 en même temps que les terres du quartier de Cure d'Air, à la Société Bernheim Frères qui, à son tour, la céda à la Commune de Draveil pour le prix principal de un franc.

            La Grille et l'Avenue du Château

Cet achat fut réalisé par M. Gustave Levasseur, maire, autorisé par délibéra­. tions du Conseil Municipal du 2 mars et du 9 'octobre 1927. Ces délibérations furent approuvées par M. le Préfet de Seine-et-Oise qui, par arrêté du 14 avril 1928, déclara l'avenue des tilleuls d'utilité publique pour l'aménagement de promenades, terrains de jeux et de sport. Que reste-t-il de ces bonnes intentions à une époque où l'au­tomobile envahit tout ce qui était lieu de repos ... ?

La Route Nationale 448 (Boulevard Henri Barbusse)

Pour en revenir aux voies desservant le château à son origine, il convient de parler un peu de la route principale qui passait devant la grille d'honneur.

Venant de Corbeil, elle conduisait à Vigneux et Villeneuve-Saint­Georges en longeant le parc de Mousseaux pour ressortir à l'église de Vigneux, celle qui tombait en ruines à la Révolution; elle se trouvait près de la Magnanerie, à la Croix de Vigneux, aujourd'hui Carrefour de l'Arbre de la Liberté. Une belle route droite remplaça le tracé sinueux de l'ancienne et des ormes furent plantés sur ses rives. Plus tard, deux rangées de peupliers s'alignèrent entre les ormes. Tous ces arbres abritaient des ardeurs du chaud soleil d'été et rendaient agréable le parcours de la longue route poudreuse dans sa traversée des champs.

La moderne R.N.448, dédiée à l'écrivain Henri Barbusse, suit le même tracé avec un visage pour le moins différent. Les peupliers ont été abattus après la première guerre mondiale. Des ormes ... ? il n'est reste plus qu'un, vénérable témoin des grandeurs de Marin de la Haye et de ses successeurs, qui doit philosopher à corps perdu sur la vanité des folles agitations humaines.

          L'alimentation en eau 

Les pièces d'eau du parc étaient alimentées par un habile système de drainage qui captait, à partir de la forêt de Sénart, les eaux souter­raines. Celles-ci étaient recueillies dans un réservoir, également sou­terrain, que l'on voit encore dans la rue des Jonquilles, en un lieu­-dit «la Mare à Jacquin», pour se déverser ensuite, soit dans un réser­voir intermédiaire aujourd'hui comblé et qui se trouvait à l'angle des rues Pierre Brossolette et Victor Hugo, soit dans le Gué de la Folie. A partir de ces points de rassemblement des eaux, des canali­sations, toujours souterraines, alimentaient les pièces d'eaù des dif­férents parcs draveillois. Des vestiges de ces canalisations en pierrée, tombent parfois sous le pic du terrassier, au grand étonnement de l'ouvrier qui ne s'attend pas à de telles rencontres.

Le trop-plein du vivier et de la petite rivière du Gué de la Folie coulait aussi sous l'avenue Marcelin Berthelot; il Y coule d'ailleurs encore. Dans un acte daté de 1837, il est rappelé que Madame de Goulard, alors propriétaire du château de la Folie, doit, depuis un temps immémorial, le trop-plein de son vivier et de sa petite rivière au château de Draveil. Ce trop-plein alimentait au passage l'abreu­voir communal qui se trouvait en bordure du boulevard Henri Bar­busse, à droite de la grande grille du château. La servitude demeure au profit de Paris-Jardins; l'acte de vente de l'avenue Marcelin Berthelot à la commune en fait mention.

L'eau de l'abreuvoir s'écoulait dans la petite rivière et les pièces d'eau du parc. Un tuyau souterrain reliait d'autre part l'abreuvoir à un lavoir public. Ce dernier avait été construit en 1843, en bordure de la route de Villeneuve-Saint-Georges, côté Mousseaux, sur un terrain concédé gratuitement à la commune par M. Dalloz, alors propriétaire du château de Draveil. Ce lavoir était alimenté égale­ment par une récupération des eaux du Gué de la Folie qui se répandaient dans les «Prés Pierre» pièce de terre du quartier de la Plaine des Sables, située approximativement entre les rues Pierre Curie et Marcel Linard.

L'abreuvoir et le lavoir ont été comblés une dizaine d'années avant la seconde guerre mondiale. C'est sur le terrain du lavoir, qui longe l'avenue Sully, que le Foyer pour les Anciens du quartier a été édifié en 1976.         ~

Tous ces ouvrages offraient l'avantage de discipliner l'anarchie des eaux souterraines. Actuellement, quelques propriétaires draveillois ont encore à souffrir, en période pluvieuse, de leur disparition. Le réseau général d'égouts qui s'étend régulièrement chaque année et sera bientôt achevé, vient heureusement compenser d'une façon moderne, la destruction d'un système hydraulique qui se révéla efficace quoique d'archaïque conception.

La ferme seigneuriale

De la ferme seigneuriale subsistent, derrière l'église, dans la cour du patronage, deux bâtiments: l'habitation du fermier et une partie de la bergerie. L'auditoire de Draveil et la prison, pour l'exercice de la justice seigneuriale avaient leur place dans un pavillon distinct. La ferme s'étendait entre l'avenue Marcelin Berthelot et la rue de Mainville, entourée de murs, avec une grande cour centrale sur la­quelle a été édifié le marché couvert, et un verger dont la rue du Clos de la Ferme, aujourd'hui rue Jean Moulin, entretint quelque temps le souvenir. La maison du menuisier de la rue de l'Abbé Bellanger, a été édifiée par M. Prosper Roché entre les deux pilastres de maçonnerie qui supportaient le château d'eau alimentant la ferme. Un arbre du verger, un prunier de belle taille et fort gaillard, est encore visible chez un riverain de la rue Jean Moulin. C'est avec le marronnier situé non loin du marché, le dernier témoin vivant de l'activité paysanne si intense jadis au centre même de Draveil.

Les terres de culture couvraient principalement les quartiers de Cure ·d'Air, Mousseaux, les fouilles entre Paris-Jardins et la Seine; disons pour être plus clair : la Plaine des Sables et la Base de Loisirs. Le bail consenti à M. Charles Sance en 1905, fait état de 130 hectares. Par suite du décès de son titulaire, ce bail fut cédé en 1909 à un cultivateur de Charenton, M. Arthur Gerbaux, auquel il était réservé d'être le dernier exploitant de la grande ferme seigneuriale d'autre­fois.

La succession de Marin de la Haye

Marin de la Haye jouissait en grand seigneur de son domaine. Bourru mais bon, le village lui accordait sa sympathie, et, fidèle au grand précepte évangélique, il savait laisser ignorer à sa main gauche les bienfaits que distribuait sa main droite. C'est dans son hôtel parisien de l'Ile-Saint-Louis qu'il rendit le dernier soupir le 3 octobre 1753. L'abbé Lebeuf rapporte que dans l'annonce de son enterrement du 4 octobre, il est qualifié seigneur de Draveil et indi­qué qu'il a donné de quoi établir en ce lieu un chirurgien et une sage-femme. Il avait encore projeté d 'y faire d'autres établissements. Il laissait pour héritiers sa veuve, née Marie-Edmée de Saint-Mars, et ses deux frères, Salomon et Marc-Antoine.

Recueillir un pareil héritage n'alla pas sans poser quelques pro­blèmes, notamment en ce qui concernait les limites exactes du domaine. Afin d'y voir clair, les héritiers chargèrent M. Claude­Charles Nouette, notaire royal en la prévôté et châtellenie de Corbeil, résidant à Brunoy, de dresser le «papier terrier des terres et seigneuries de Draveil, Marcenoux, Beaumont, Monceaux (Mous­seaux), Champrosay et Mainville».

Cet important ouvrage est une mine de renseignements sur les ori­gines de Paris-Jardins, ainsi que sur Draveil au XVlIIème siècle. Il fut conservé pendant plus d'un siècle à la mairie de Draveil où il avait été déposé, en 1823, entre les mains de M. Granger, maire, par Daniel Parker, avec lequel l'occasion va nous être donnée de faire connaissance. Les précieux volumes sont déposés maintenant aux Archives Départementales de Versailles qui en revendiquèrent la possession en 1929.    

Madame de la Haye était, comme son mari, fort estimée des habi­tants de Draveil. M. de Courcel relate dans son livre sur la Forêt de Sénart, qu'elle fut même choisie par eux comme gardienne des fonds provenant de la vente des bois communaux. On vivait vrai­ment en toute confiance avec les châtelains! Lorsque cette noble dame mourut en 1776, le domaine revenait à un nombre d'héritiers si important, qu'il se révéla plus simple de le mettre en vente.

Il fut adjugé en 1779 pour 400.000 livres à un neveu par alliance, Jean Ducros de Belbeder, sous-lieutenant des gardes du corps du Roi. Jean et sa femme, fille de Marc-Antoine de la Haye, vendirent plusieurs parties du domaine, notamment les Mousseaux et le Gué de la Folie.

Jean Ducros de Belbeder mourut, à peine quinquagénaire, le 8 juil­let 1789 à Draveil où il fut inhumé. Sa veuve vendit le château au beau-père de sa fille aînée, Jean-François Bérard. Ce fut le dernier seigneur de Draveil.

De gré ou de force, Jean-François Bérard se rallia à la Révolution. En tout cas, il composa loyalement avec elle et ne fut pas inquiété. Son fils, Gabriel-François Bérard des Glajeux, époux d'Antoinette­Marine-Françoise Ducros de Belbeder, fut même choisi comme maire de Draveil en 1800, par le Préfet de Seine-et-Oise.

Le 30 Prairial An VIII (19 juin 1800), il était installé dans ses nouvelles fonctions et prêtait serment de fidélité à la Constitution de l'An VIII et à la République Française, en présence d'Ovide Cha­teau, agent, et de Rémi Aubeau, adjoint. Louis-Marie Gâtine, nommé adjoint, accomplissait en même temps les mêmes formalités. Les noms patronymiques commencent à devenir familiers aux oreilles des vieux Draveillois !

Gabriel Bérard ne garda pas longtemps ses fonctions municipales. Le 30 Vendémiaire An IX (22 octobre 1800), un nouveau maire, Louis Beaupied, le remplaçait. C'est qu'il quittait Draveil, ayant vendu cinq jours plus tôt, en accord avec les autres héritiers de feu son père, le château à Daniel Desmanot. Et ce dernier le revendait trois ans plus tard à Daniel Parker, citoyen des Etats-Unis d'Amérique, qui devait le conserver dix-huit ans.

Daniel Parker

"notes de Jacques Macé"

"Citoyen ds états unis Daniel Parker a fait fortune dans le commerce des armes et des farines (les secondes pouvant dissimuler les premières) durant la guerre d'indépendance des Etats-Unis d'Amérique. Il est ami de Georges Washington, Thomas Jefferson, et bien sur du marquis de La Fayette. Ainsi, lorsque La Fayette se casse la cuisse dans une mauvaise chute de cheval en 1804, il vient passer sa convalescence à Draveil chez son ami Parker.

   Il mène grand train de vie et, durant l'Empire, son château devient un point de rendez-vous pour les riches Américains qui visitent la France ou résident à Paris. Les fêtes qu'il y donne sont longuement contées dans les Gala français ou américains de l'époque. Parker est également très généreux avec la commune."

Après avoir fait l'objet d'une saisie, laquelle saisie fut convertie ensuite en vente sur publications volontaires, le château, son parc, la ferme et ses dépendances, les bois et les prés, furent adjugés le 6 mai 1821 au comte de Devon, William Courtenay, et le reste à M. Denis Delaunay, un parent par alliance de Jean Ducros de Be1beder.

Lord Courtenay

Curieux homme que ce William Courtenay qui devenait propriétaire du château de Draveil où il vécut, dit-on, très retiré, en y menant néanmoins un grand train de vie. M. Robert de Cource1 a publié, il y a quelques années, dans l'un des Bulletins de la Commission des Antiquités et des Arts, une très intéressante étude sur ce personnage quelque peu étrange. (1)

C'était un noble anglais de vieille souche française, tirant son nom de la seigneurie de Courtenay, dans le Loiret. Dans quelle mesure avait-il partie liée avec son prédécesseur Daniel Parker, il y a là un mystère qui n'est pas élucidé. On a prétendu que condamné à mort, Parker alors son domestique, aurait facilité son évasion et se serait même subsitué à lui dans les prisons de Sa Majesté britannique. Il y a là matière pour un grand roman d'aventures, de série noire peut­être ... ?

Il est un fait en tout cas, c'est que le «papier terrier des terres et seigneuries de Draveil» a été remis à la mairie lé 7 décembre 1823 par Daniel Parker (2) Il est permis de penser qu'il ne l'a pas fait sans l'accord préalable de William Courtenay, propriétaire en titre du château depuis deux ans.

(1) - R. de Courcel - Le château de Draveil et lord Courtenay - Bulletin de la Commission des Antiquités et des Arts 1948-1955, page 116.

(2) - Très exactement, il a été remis à M. Granger, maire, par M. Raussin, conseiller municipal, propriétaire à Draveil, au nom de M. Parker, ancien propriétaire du Château et du Domaine de Draveil.

Le blason de la grille de Paris-Jardins et sa devise

De son passage à Draveil, lord Courtenay a laissé un souvenir en hissant ses armes sur la grande porte de la grille bordant la cour d'honneur.

Deux sangliers de fer dressés, soutiennent le grand écu rond qu'en­toure 1'obscure devise: «Ubi lapsus quid feci».

D'éminents latinistes se sont efforcés de déchiffrer cette devise sans aboutir à un résultat leur donnant satisfaction. Phrase interrogative mal bâtie, ou incomplète, elle défie toute traduction rigoureuse. Quasi littéralement, elle donne: «Où est le fautif, qu'ai-je fait T», ce qui, par approximation, pourrait lui faire dire: «Qu'ai-je fait pour relever celui qui a fauté 7». Tout cela sans garantie… Y-a-t-il une allusion quelconque au passé tumultueux de Lord Courtenay? Ce secret, le grand seigneur anglais l'a emporté avec lui dans la tombe.

 

Un trait de lumière sur la devise de Lord Courtenay

Le Président de Paris-Jardins et Madame Rapoport se sont efforcés à leur tour, d'obtenir quelques éclaircissements auprès du siège de la famille Courtenay, au château de Powderham en Angleterre. Leur avis, publié dans le Bulletin Municipal n" 35 de juin 1978, confirme bien que c'est le IXème Comte de Devon, IIIème Vicomte Cour­tenay, propriétaire du château de 1821 à 1835, qui a fait placer ses armes au-dessus de la grille. Il fut effectivement arrêté en Angleterre pour mœurs contre nature, s'échappa de prison avant jugement, en considérant sans doute qu'il n'avait pas commis de faute.

Quant à la devise, il faudrait l'attribuer à Henry, marquis d'Exeter, comte de Devon (1496-1538), cousin de Henri VIII. Accusé de chercher à faire supplanter le roi par Reginald Pole, archevêque de Cantorbery, il fut emprisonné à la Tour de Londres, puis décapité, ses titres abrogés et ses biens annexés au duché de Cornouailles. C'est au cours de sa détention qu'il aurait gravé sur le mur de sa cellule: Ubi Lapsus quid feci. En signe de protestation, la branche cadette, dite de Powderham, aurait adopté cette devise.

L'explication est plausible; il semble qu'il faut voir là un épisode de la lutte sanglante entre catholiques et anglicans.

M. et Mme Rapoport font état d'une autre explication selon la­quelle la devise aurait été adoptée par les Courtenay de France, lorsqu'ils n'eurent pas réussi à faire reconnaître qu'ils étaient de sang royal.

Le témoignage du Comte de Devon aujourd'hui en titre

Il y a quelques années, j'ai pu être en rapport avec l'actuel Comte de Devon par l'intermédiaire. d'amis anglais. Je lui fis transmettre ce que nous connaissions du passage de son aïeul à Draveil et son avis sur ce point fut bref: «Je n'ai pas pu trouver mention du château de Draveil comme ayant été la propriété de William Courtenay, ni de la tradition locale concernant son évasion de prison. Je n'en ai jamais entendu parler».

Il eut néanmoins l'amabilité de me communiquer ce qu'il savait des Courtenay de France :

«William Courtenay était issu de cette vieille famille qui prit son nom et ses armoiries de la localité de Courtenay en Gâtinais.

La branche anglaise descend de Reginald qui vint en Angleterre en 1142. Ils furent faits comtes de Devon en Xl Vèrne siècle. Pow­derham Castle fut construit par Sir Philip Courtenay, le plus jeune fils du second Courtenay, comte de Devon, duquel le William dont vous parlez et moi-même sommes les descendants.

Pendant la guerre civile anglaise, dite des Deux-Roses, de 1455 à 1485, les membres de la famille passèrent au travers de nombreuses difficultés et ne cessèrent de perdre et de regagner leurs titres, jusqu'à ce qu'advienne le règne de la reine Mary en 1553 (Marie Ière Tudor). C'est alors que le Comté de Devon leur fut rendu.

Cependant, le dernier descendant de la branche aînée mourut quelques années plus tard et la branche cadette de Powderham ne revendiqua pas le titre, soit par ignorance de ses droits, soit par désir de rester dans l'ombre.

Par la suite, ils devinrent baronnets, puis vicomtes. Le 3ème vicomte fut le Sir William que vous mentionnez, lequel naquit vers 1770 et mourut à Paris en 1835. Lui-même avait perdu son père alors qu'il était encore jeune, laissant non seulement William, mais aussi treize filles. Lejeune vicomte fut débauché par l'inique Beckford (écrivain anglais 1759-1844) et, après un gros scandale, s'enfuit à l'étranger. Il n'a jamais été jugé ni emprisonné, mais il vécut dans un semi-exil volontaire en Amérique et en France où, comme vous le savez, il mourut.

Il avait cependant, à l'instigation de son cousin et héritier (qui se prénommait aussi William et qui est mon arrière-arrière-grand-père), réussi à faire valoir ses droits sur le Comté de Devon. A sa mort, la propriété, la dignité de baronnet et le titre de comte allèrent à son héritier; la dignité de vicomte disparut.

Il était, ainsi que ses sœurs, un grand protecteur des arts. ous n'en savons pas plus sur son compte; c'est peut-être en raison du scan­dale que les détails concernant sa vie ne nous ont pas été transmis».

Ce sera sans doute là le mot de la fin. Le secret de Lord Courtenay aura été bien gardé.

Les armoiries de Lord Courtenay

La devise de Lord Courtenay, on vient de le voir, est appelée à garder pour longtemps son aura de mystère.

Les armoiries que soutiennent les deux sangliers dressés, se tra­duisent comme suit en langage héraldique:

"Ecartelé aux premier et quatrième d'or à trois tourteaux de gueules (Courtenay) au deuxième d'or au lion d'azur (Devon) au troisième d'azur à trois fleurs de lis d'or (France)"

Il serait regrettable de laisser périr, faute d'entretien, ce témoignage évocateur du passé de Draveil. Un buisson épanoui qui surmontait l'écu a déjà disparu, rongé par la rouille ... Il a été remplacé par trois épis de fer forgé lors de la réfection de la grille en 1964.

La famille Woods and Co

William Courtenay, mort à Paris le 26 mai 1835, légua par testa­ment ses biens de France à George Woods, son maître d'hôtel et intendant. Dans l'entourage de la ramille Woods vivait toute une colonie anglaise. Le précepteur, les domestiques, le fermier étaient anglais. Des mariages furent célébrés entre sujets britanniques et Draveilloises. L'une des filles de George Woods, Jenny Woods, épousa le 14 juin 1837 à Draveil, à l'âge de vingt et un ans, Auguste Bernard de Vignerie, docteur en médecine. De religion anglicane, elle se convertit au catholicisme et abjura «les hérésies de Luther» l'année suivante, le 31 octobre 1838, en l'église Saint Rémi, l'abbé Hoc1et étant curé de la paroisse. Cet acte d'abjuration, en bonne et due forme, est probablement unique dans les registres de notre paroisse.

Les derniers propriétaires

La famille Woods ne conserva pas longtemps la propriété du château de Draveil. Elle le vendit, en 1837, à Victor-Alexis-Désiré Dalloz, député du Jura, avocat célèbre et jurisconsulte éminent dont le nom reste lié à la science du Droit.

En 1854 Victor Dalloz vendit son domaine de Draveil à un ingé­nieur, M.' Charles Seguin, l'un des frères de Marc Seguin, l'inventeur de la chaudière tubulaire. Cette famille, originaire d'Annonay, était apparentée aux de Montgolfier, les célèbres industriels papetiers.

Le petit pavillon d'habitation qui longe le mur de Paris-Jardins, à mi-côte du boulevard du Général de Gaulle, est dénommé «la Machine» sur les anciens plans. Il y avait dans le sous-sol de ce pavil­lon, une machine à vapeur qui devait activer ou régulariser le cou­rant d'eau entre Villiers et le château de Draveil. En 1806, Daniel Parker avait déjà conclu un accord au sujet des eaux avec M. Ga­mot, alors propriétaire du domaine de Villiers. Il est probable qu'il faille attribuer à Charles Seguin l'installation de la machine. Il nous a été rapporté qu'elle faisait beaucoup de bruit et dégageait de la fumée en abondance. Ce fut sans doute les causes de sa suppression après la disparition du technicien qui, par ailleurs, était peut-être le seul à savoir l'actionner correctement.

Charles Seguin avait des projets plein la tête. Il avait pensé à jeter un pont sur la Seine pour passer à Juvisy. Cette réalisation ne verra le jour qu'une quarantaine d'années plus tard, en 1894. La mort surprit ce précurseur en 1856, deux ans après son acquisition du' château. Sa femme, née Marie-Anne Petroz, conserva celui-ci jusqu' en 1882. Elle fut la marraine, en 1863, de Marie, la grosse cloche de Saint-Rémi, celle que les lourds marteaux de l'horloge frappent à chaque heure qui s'enfuit.

Après Madame Seguin, le château, le parc, .la terre attenante jusqu' au chemin du Port aux Cerises et l'avenue des tilleuls, passèrent aux mains de la famille Laveissière, négociants en métaux venus d'Au­vergne. M. Jules-Joseph Laveissière achète le domaine le 18 juillet 1882, il meurt le 28 mai 1885, sa veuve conserve la propriété jusqu'à son décès le 10 septembre 1905, ses héritiers: deux fils et une fille, vendent à la Société de Paris-Jardins ces biens' que la famille Laveissière habita une trentaine d'années durant.

Quant à la ferme et aux terres de cultures situées de part et d'autre de la R.N.448 qui mène à Villeneuve-Saint-Georges, l'acquisition en fut faite par MM. Bernheim Frères. Après la guerre de 1914- 1918, s'élevèrent sur ces terres les quartiers de Cure d'Air et de Mousseaux ou, si l'on préfère, le quartier de la Plaine des Sahles.

Paris-Jardins

De leur côté, les sociétaires de Paris-Jardins faisaient édifier dans le parc de coquets pavillons, tout en s'efforçant de conserver au site domanial son charme originel. Vue du grand perron du château, la longue Allée de la Perspective, avec ses rives boisées, son tapis vert, se fait encore agréable au regard qui la contemple. La vue s'étend toujours sur les coteaux d'Athis et de Juvisy, mais où sont les vignes d'antan ..?

Le château lui-même a été aménagé en logements locatifs et en salles de réunions. Les boiseries qui ornaient le grand salon ont été démontées et expédiées en Amérique où elles décorent le Museum of Art de Philadelphie.

On peut dire de Paris-Jardins, première cité-jardin de France, que c'est une réussite. L'homme de goût qui a su concevoir cet ensemble est un architecte de talent, travailleur acharné, grand philanthrope qui sut conquérir la fortune sans pour autant lui donner son âme. Entr'autres réalisations, on lui doit l'hôpital Beaujon de Clichy et la Faculté de Médecine de Paris. Son nom, Jean Walter, a été évoqué lors d'une des plus retentissantes affaires judiciaires des années 1950 : l'affaire Lacaze, laquelle est déjà bien oubliée.

Sans vouloir retracer ici la vie de Jean Walter, il n'est pas indifférent de rappeler que sa plus belle œuvre aura été la Fondation Zellidja qui, jusqu'en 1973, a fait chaque année 350 curieux bénéficiaires. Des jeunes gens, de 16 à 18 ans, ont été envoyés à travers le monde, seuls, sans argent, voyageant comme ils le pouvaient et obligés pour vivre de faire tous les métiers. La Fondation Zellidja ne leur donnait en effet, qu'une somme minime au départ: 700 Francs pour un mois de voyage. Ils partaient ainsi pour la Roumanie, la Laponie ou le Tchad, le Groënland ou Tananarive. L'expérience qu'ils faisaient, le goût de l'aventure qu'ils acquerraient, la leçon d'énergie qu'ils retiraient, leur apportaient bien plus que le maigre viatique de Zellidja. En rentrant, les boursiers' faisaient un rapport sur leur voyage. Les meilleurs étaient récompensés par de nouvelles bourses. La Fondation, en adoptant une nouvelle politique, a modifié le mode d'attribution des fonds.

Pour en revenir à Paris-Jardins, Walter s'était inspiré de ce qu'il avait vu au cours de ses voyages, et notamment des cités-jardins d'Angle­terre, de Suisse et d'Allemagne. Monsieur Albert Mayer, lé premier président et fondateur de la Société coopérative ouvrière, avait lui­-même longuement séjourné et voyagé en Angleterre. Les idées de Jean Walter l'avaient séduit d'autant plus, qu'elles rejoignaient ses propres conceptions. C'est donc en toute confiance qu'il lui assigna la tâche de réaliser le lotissement.

Walter s'installa même avec sa jeune femme, dans lm des pavillons de Draveil où son génie enfanta de nombreux chefs-d 'œuvre que récompensèrent quatorze prix d'architecture.

Sa réalisation de Paris-Jardins a été fréquemment imitée depuis. Il n'est pas trop fort de dire qu'elle fait honneur à Draveil. La Société, sagement administrée, veille à éviter dans son domaine les verrues enlaidissantes. Elle entendit primitivement vivre en vase clos, mais des difficultés d'ordre divers et, en particulier, financières, lui apprirent que nul ne peut prétendre se passer des hommes. Ses grilles se sont ouvertes sur la Ville, les municipalités ont été compré­hensives et de bons rapports, sinon des amitiés, se sont établis.

Aujourd 'hui, sans conteste, la cité de Paris-Jardins forme un quar­tier de Draveil et elle n'ignore plus sa commune d'implantation. Les Draveillois, de leur côté, tout en respectant son statut particu­lier, l'ont définitivement adoptée. Désormais, Draveil ne peut plus se concevoir sans Paris-Jardins

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